Tour du Mont Blanc cyclo : le jour le plus long
«Tu vas voir c'est incroyable ! T'as combien de bornes ? Ton vélo est un peu lourd non ? Tu prends des gants avec toi ? C'est quoi ta plus longue distance sur un vélo en un jour ? Tu t'es bien préparé ? Ces questions, ce sont celles de mes collègues de chambre à la veille du Tour du Mont Blanc Cyclo, un incroyable défi personnel que je me suis lancé sur un coup de tête à 5 jours de l'épreuve. De l'inconscience ? Certainement mais surtout un rêve, faire le Tour du Mont Blanc sans arrêt avant le couché de soleil. Le Mont Blanc c'est beau, c'est grand mais c'est surtout très dur, voici le récit de cette incroyable journée de vélo.

14h : veille du grand départ. Je prends la navette d'Alberville direction la station des Saisies. Je me retrouve avec Dan, un avocat de la city qui va disputer lui son premier Tour du Mont Blanc. Je sens de l'envie, de la peur mais surtout de l'excitation dans ses mots. 15h : je vais chercher mon dossard et mon package coureurs. Je prépare mes affaires minutieusement (ce n'est pas mon habitude). Je n'ai envie de rien laisser au hasard, le temps s'annonce clément mais on ne sait jamais, une tempête à 2000m et la course est foutue si le préparation des affaires à été négligée.
16h30 : je prends le temps de manger une crêpe au nutella avec un chocolat chaud, la diététique attendra. 17h : Briefing collectif, avec le témoignage d'un ancien combattant, il a fait l'épreuve l'an passé et il s'était résolu à abandonner à 80km de la fin, épuisé et incapable de se relancer, il en a fait un film de 6mn. J'ai les larmes qui montent. Ce défi est-il plus grand que je ne le pensais ?

18h30 : Je zappe la Pasta party pour manger à mon hôtel, besoin de me mettre dans ma course et de préparer toutes mes affaires. Les discussions avec les concurrents attendront demain matin. 19h30 : retour hébergement, je retrouve Corentin, mon collègue de chambre, une quarantaine d'années, 1 participation à son actif qui vient d'arriver seulement. Il s'est inscrit à J-2. Je crois avoir trouvé pire que moi en terme d'inconscience. 22h : après avoir tout préparé au millimètre, je prends le chemin de mon lit. Demain c'est vélo ! Samedi 3h45 : le réveil sonne, je suis assez frais malgré l'heure. J'enquille un petit dej rapide, c'est pas la grosse faim mais il faut de l'énergie. 4h40 : départ de l'hébergement vers le départ, 2km de montée, histoire de faire monter un peu la température. Arrivés sur la ligne de départ, tout le monde est déjà là. La musique est forte, la tension monte, c'est l'ambiance Ironman mais dans la nuit et en vélo. Je vous laisser imaginer.

5h00 : c'est parti ! 330km / 8000m de D+, 10 montées et cols répertoriés dont 3 à plus de 2000m, 3 pays visités. La grande aventure alpine en somme. Dur de ne pas se poser de questions, de ne pas douter de moi, de ma très légère préparation pour un format pareil ! Ils sont tous là : français, anglais, espagnols, américains, brésiliens, norvégien, hollandais. Tous là pour la même chose, faire le Tour du Mont Blanc en une seule journée. Pour certain c'est le défi de leur vie, pour d'autres, une course parmi d'autres dans leur saison d'Ultra. Je vois ces visages affutés, ces mecs taillés comme des lames et je me dit que ça va être dur. Leurs vélos sont préparés comme des formules 1, batteries de rechange, 3 Garmin, boite à ravitaillement spécifique, j'y suis enfin, dans ce monde des Ultra Cyclistes. Les kilomètres du départ défilent très rapidement (40 à 50km/h) de moyenne sans prendre aucun risque. Mon bidon derrière la selle s'envole au premier dos d'âne à Megève. Il va falloir trouver une solution pour caler mon dépannage et ma boisson. C'est vite vu, ce sera dans mon dos !

Les kilomètres du départ défilent très rapidement (40 à 50km/h) de moyenne sans prendre aucun risque. Mon bidon derrière la selle s'envole au premier dos d'âne à Megève. Il va falloir trouver une solution pour caler mon dépannage et ma boisson. C'est vite vu, ce sera dans mon dos !
A Chamonix, kilomètres 66, je n'ai pas bu une seule goute, ni mangé quoi que ce soit, les autres non plus j'ai l'impression. Rassurant ? Je ne sais pas, j'ai l'impression que chacun a ses habitudes. A la guerre, comme à la guerre.. KM77 : Col des Montets, je suis monté très souple aux alentours de 17-20km/h, je ferme mon kway, je bois, je mange et c'est reparti.

Direction Vallorcine et le pied du roulant col de La Forclaz (PK96), les sensations sont là mais je gère tranquillement. Au sommet je prends 5mn pour prendre une photo, fermer ma veste, manger une barre et boire un coup, il y a du monde là haut ça fait du bien. Je me lance dans la descente vers Martiny. Cette descente c'est vraiment le pied : la route est parfaite, les virages sont relevés, je me prends pour Valentino Rossi pour quelques minutes.
KM109, j'arrive au pied du Col de Champex, je prends le temps de me ravitailler et de me déshabiller un peu. Le départ est souvent très frais en altitude, je suis parti très couvert, peut être trop mais j'ai appris dans mes années cyclistes qu'on est jamais trop prudent. Je me souviens d'un Tour des Pays de Savoie avec Nogent sur Oise où nous avions pris la neige pendant le Cormet de Roselend et la tempête au sommet avait décapité 70% du peloton. Ce jour là, j'avais pris soin de prendre paire de gants hiver, bonnet, Buff, couvre chaussures d'hiver, veste et Gore Tex, je faisais partie avec mon coéquipier Julien Guay vainqueur de cette étape des 35 seuls survivants ! J'ai pensé à cette étape durant tout mon début de Tour du Mont Blanc.. Nous voici au pied du 3e col de la journée. Champex-Lac, c'est très dur, à tel point qu'on se croirait dans un col du Val D'Aoste. 11km à plus de 8% avec une pente très régulière, et bien, j'en ai "chié comme un russe" comme dirait ma mère. J'ai détesté cette montée, non pas que le panorama ne me plaisait pas mais mes 70kg bien tassé se ressentent très vite dès que la pente dépasse les 7%. Là on était très souvent sur du 10% voir 12%. J'ai beaucoup souffert. Très heureux d’apercevoir le fameux Lac de Champex, je l'ai tellement maudit celui là..

La descente qui suit est rapide et facile, elle nous mène à Orsières pied du col du Grand St Bernard. La température monte quelque peu, je me découvre. Ici la route est large, assez roulante, les voitures sont nombreuses. Le Col du Grand St Bernard est le col mythique entre la Suisse et l'Italie. C'est long, très long. Près de 35km de montée, 20km roulants et ensuite ça devient de plus en plus dur. Les derniers kilomètres ont interminables. J'ai vraiment passé un mauvais moment de sport durant les 8 derniers kilomètres de cette montée. Mais vraisemblablement il n'y a pas que moi, je vois des mecs par terre, assis, regard dans le vague, des mecs qui s'arrêtent 100m plus loin..ça me rassure presque, je ne suis pas le seul dans le dur. J'avais décidé pour ma part de ne jamais m'arrêter en montée et de garder un rythme jusqu'au sommet, les jambes tournent de plus en plus mal mais je vois bientôt la fin. Ravitaillement au sommet, je prends bien le temps m'alimenter et de me couvrir pour la descente qui s'annonce très froide. Il y a de la soupe, des sandwichs, du sucré. Je prends le tout et je m'en vais !

Je caille, je caille, je caille. Oh putain qu'il fait froid dans ce début de descente, j'ai les larmes qui coulent sur mon visages, mélange de plaisir, de souffrance et de je ne sais plus quoi, je commence à chanter (faux évidemment), je commence à douter, à réfléchir à ce qui arrive ensuite..allez Stéven, ne lâche rien, on avait dit en haut du Petit St Bernard c'est fini. Les kilomètres défilent et nous arrivons vite à Aoste ou presque car cette Vallée est interminables. Je garde mes plus beaux souvenirs de vélo ici en 2010 donc on va essayer de garder ce souvenir intacte. Ce passage dans la vallée d'Aoste (Val d'Aosta en Italien) permet de récupérer et refaire le plein hydrique et alimentaire. Il fait très chaud, une chaleur étouffante que je n'avais pas prévu aujourd'hui. Je bois et mange ce qu'il me reste en attendant le prochain stop. A La Salle, le ravitaillement en solide et liquide me fait du bien, je me dis, plus qu'un vrai col après c'est les vacances (oui c'est vrai j'ai dis ça à chaque col mais c'était pour mieux tromper l'ennemi..moi même). C'est la dernière vraie pause avant le gros morceau de cette épreuve : l'enchainement Petit St Bernard / Cormet de Roselend. Je mange une portion de 100g de pates, bois ce qu'il faut, rempli les poches, les bidons et c'est reparti. Je repars en voyant, des mecs allongés sur les hamac à siroter une bouteille de Coca presque cul sec, des mecs qui mangent du fromage, du saucisson, des mecs qui dorment dans l'herbe, d'autres n'arrivent même plus à marcher sur leur cales de vélo..on y est :)
Morgex, kilomètres 217, nous sommes au pied du col du petit St Bernard, petit que par le nom car c'est 24K à 7% de moyenne qui nous attendant. Un italien en VTT me double, me parle, me dit de prendre sa roue, c'est parti pour 5km à bon rythme. Je lui demande de rester avec moi mais la mama l'attend pour manger ! Le pied du col est vraiment très agréable, les pentes sont douces, les courbes s'enchainent, j'ai adoré ce col ! J'ai remonté une cinquantaine de concurrents durant cette montée, ça fait du bien au moral ! J'y ai repris beaucoup de sensations et de plaisir. Les derniers kilomètres sont un peu plus durs, l'altitude se fait sentir, le froid et le vent également. Je m'accroche, le vent est de plus en plus fort et évidemment de face pour notre plus grand bonheur, la France est en vue. Allez, plus que deux cols et c'est terminé !

Ravitaillement en solide au sommet du Col, avant la très longue descente vers Bourg st Maurice. Encore un magnifique moment, il fait un temps magnifique, nous voyons Bourg st Maurice d'en haut qui nous parait tout petit. Nous basculons dans la descente, qui est juste incroyable, ces lumières, ces couleurs me mettent les larmes aux yeux (allez ça fera que deux fois aujourd'hui, petite chose que je suis). Cette descente est vraiment très agréable également à faire, il faut bien relancer après les virages pour ne pas perdre de vitesse. Je descends vite et double encore 5/6 mecs dans la descente. Nous sommes à Bourg St Maurice, dernier ravitaillement en solide avant le Cormet de Roselend, je mange quelques pates, recharge un peu en sucré et liquide et c'est parti ! C'est parti pour l'avant dernière difficulté du jour, 19km à 7% de moyenne. C'est assez roulant jusqu'au kilomètres 7 et ensuite ça devient plus dur 8%-9% parfois. Il faut s'accrocher. Je connais ce col par coeur et on ne s'est jamais vraiment apprécié tous les deux. ;) Un replat à mi col fait le plus grand bien. Les 5 derniers kilomètres sont assez dégagés et le vent y est fort ! Il ne fait vraiment pas chaud là haut ! Il fait pas un peu froid pour midi ? Ah il est 19h30, merde, j'ai perdu toute notion du temps et je ne pense plus qu'à pédaler, pédaler, pédaler.. Ravitaillement liquide express au sommet et c'est parti pour la dernière descente du jour avec une vue sur le lac de Roselend, c'est absolument somptueux ! Cette dernière descente est assez technique, je prends moins de risque, essaie de manger sans y parvenir, bois, sourit, je me dit que je vois enfin le bout du tunnel.

KM 314, virage vers Hauteluce, c'est le pied des Saisies ! Je ne connaissais pas ou mal ce début de col et bien j'ai été servi ! Le pied du Col est difficile (pour ne pas dire horrible quand on vient de se farcir 315K de vélo) pendant 3/4km après c'est un peu plus roulant (quel bonheur) et redevient plus dur peut avant Hauteluce (là je souffre le martyr, je suis limite/limite mais décide de ne pas ralentir. On m'a appris petit qu'il valait mieux avoir mal pendant très peu de temps que mal un peu pendant longtemps, je tente alors d'abréger un maximum mes souffrances en remettant 2 dents et en prenant mon rythme, les pentes sont régulières à 6-7% pendant ces 5 derniers kilomètres. Je pense à cette journée, à tout ce chemin parcouru, à ma famille, mes amis, à vous. Je pense à Victoria qui doit s'inquiéter. A l'arrivée, la délivrance, l'émotion, c'est fait ! Finisher de ce Tour du Mont Blanc. J'ai de nouveau ces putains de larmes qui montent, je suis allé au bout de cette foutue race ! Je suis surtout allé au bout de moi même, de mes convictions malgré le grand manque de préparation avec envie, avec passion mais surtout avec la tête. On nous donne un diplôme, notre beau tee shirt de finisher et c'est pasta party pour tous les concurrents et leur famille. Chacun parle de sa course, dans la bonne humeur. Les arrivées défilent jusqu'à 00h30 voir 1h00. Je vois ces guerriers, ces forçats de la route arriver un par un, il y en a de tous les âges et de toutes les nationalités. Je suis très impressionné par ces derniers arrivants qui ont dû faire la plus de 3h de vélo dans le noir complet dont la descente du Cormet de Roselend. Je me dis que je suis un rigolo à coté d'eux. Je me dis aussi qu'il n'ont pas retenu la leçon numéro 1 les mecs : "il vaut mieux avoir mal pendant très peu de temps que mal un peu pendant longtemps".

Je tire mon chapeau à l'ensemble des participants, finishers ou non pour ce défi personnel hors du commun. Ce Tour du Mont Blanc Cycliste restera pour moi ma plus belle expérience humaine sur un vélo, ça dépasse tout ce que j'avais pu imaginer. Je tiens à remercier chacun de ceux qui ont pris le temps de suivre cette aventure et ceux qui m'ont encouragé avec ferveur pendant l'épreuve, j'ai pris 1mn toutes les deux heures pour regarder, c'était juste fou ! Aussi, n'oubliez jamais que vous avez en vous toutes les solutions pour réussir, il faut juste croire en votre projet, en votre objectif. Tout le monde est capable de réussir ce qui lui tient à coeur avec de l'envie et un minimum (maximum parfois quand même) de préparation.